Dans un système de santé où les parcours de soins se limitent de moins en moins aux murs de l’hôpital, les besoins de coordination ne cessent de croître entre les établissements sanitaires et les acteurs de santé du territoire. L’explosion des maladies chroniques et le vieillissement de la population ont en effet multiplié pour les patients les allers-retours entre l’hôpital, la ville, le domicile et les établissements médico-sociaux et sociaux, qui deviennent autant d’étapes d’un véritable parcours de santé, voire de vie. Pour accompagner ces évolutions, la Loi de modernisation de notre système de santé de 2016 a prévu plusieurs mesures pour soutenir la mise en place d’une médecine de parcours, qu’elle définit comme la « prise en charge globale, structurée et continue des patients, au plus près de chez eux ». Parmi elles : le déploiement de CPTS pour élaborer des projets de santé répondant aux besoins spécifiques des territoires, la création de plateformes territoriales d’appui pour améliorer l’information et l’orientation, ou encore l’obligation pour l’hôpital de remettre au patient une lettre de liaison et de l’adresser à son médecin traitant le jour même de la sortie d’hospitalisation pour une meilleure collaboration.

Le numérique au service de la coordination des acteurs du territoire

Le numérique représente une formidable opportunité afin d’organiser plus facilement la coordination de ces différents acteurs au service du parcours de santé du patient. Les technologies de communication permettent en effet le partage d’information en temps réel, le stockage et la mise à disposition de documents auprès de plusieurs interlocuteurs tout en garantissant la traçabilité des échanges. Des plateformes de solutions numériques se sont ainsi développées depuis plusieurs années pour répondre à ces différents besoins. Industriels et acteurs publics ont contribué au déploiement de véritables bouquets de services, à destination tant des patients que des professionnels de santé.

Les hôpitaux, acteurs majeurs de l’organisation des soins sur les territoires, contribuent au développement de ces outils, en collaboration notamment avec les URPS, les ARS et les GRADeS, bras opérationnels des ARS pour la mise en œuvre des services numériques en santé en région. Pour accélérer la transition numérique des établissements et le déploiement de ces services, plusieurs programmes ont été déployés par les pouvoirs publics dans le cadre de la feuille de route « Accélérer le virage numérique » du plan Ma Santé 2022 :

  • le programme national Hop’en (ayant pris en 2019 le relais du programme Hôpital Numérique), qui vise à amener les systèmes d’information des établissements de santé à un certain palier de maturité d’ici 2022 (transformation numérique et modernisation des SIH) ;
  • le programme e-Parcours (faisant suite au programme Territoires de Soins Numériques – TSN) qui organise la mise à disposition d’un bouquet de services numériques de coordination aux professionnels pour permettre la transformation numérique du parcours de santé dans les territoires entre les professionnels exerçant dans les secteurs sanitaire, médico-social et social et contribue à l’architecture cible des systèmes d’information de santé, notamment dans les hôpitaux

Pour mieux comprendre les enjeux associés au déploiement de services numériques de santé en région, nous avons rencontré Thierry DURAND, Directeur des systèmes d’information du Centre de Lutte contre le Cancer Léon Bérard (CLB) de Lyon. Il est également administrateur du GCS Sara, le Groupement régional d’appui au développement de la e-santé qui fédère les acteurs de la ville, les établissements de santé, du médico-social et réseaux de la région sous l’égide de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes.

Des services numériques à destination des patients et des professionnels de santé pour améliorer la communication et éviter les ruptures dans les parcours

Des portails de services numériques à destination des patients et des professionnelsDe plus en plus d’établissements sanitaires proposent une offre de services numériques pour améliorer la prise en charge tout au long du parcours de santé. Ces services ont vocation à s’inscrire pleinement dans les projets régionaux et territoriaux de santé et à s’appuyer sur les ressources et partenariats locaux. En ligne de mire : l’amélioration de l’expérience patient, l’optimisation de la coopération entre professionnels de santé et l’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins.

Des portails pour faciliter le parcours patient

L’éventail de services ne cesse ainsi de s’enrichir pour mieux gérer la prise en charge, entre l’hôpital et l’usager et entre les différents acteurs et modes de prise en charge. De simple vitrine d’information et d’orientation des usagers, les portails patients se développent et intègrent désormais des modules pour prendre rendez-vous avec un professionnel de santé, accéder à leur dossier médical en ligne permettant de télécharger ou communiquer des documents, préparer de chez soi un séjour à l’hôpital, bénéficier de services de télésuivi ou de télésurveillance de retour à domicile ou encore la possibilité d’échanger avec son équipe soignante à l’hôpital.

« Tous ces outils permettent d’améliorer la communication et de garder un lien avec le patient », avant et après son passage à l’hôpital, souligne Thierry Durand. « Le portail patient répond à un vrai besoin ». Aujourd’hui, « 66% des patients qui passent la porte du Centre Léon Bérard tous les mois ont ouvert un compte MyCLB ». Le degré d’utilisation va certes varier en fonction de là où le patient en est dans son parcours. « Ce qui est fondamental, c’est de développer des services qui sont avant tout utiles au patient, et pas seulement à nous. L’intersection n’est pas toujours évidente à trouver ».

Des plateformes de services à destination des professionnels de santé

De plus en plus de solutions permettent ainsi de connecter le patient à l’hôpital, mais surtout d’intégrer dans le suivi de la prise en charge des professionnels de la médecine de ville (médecins libéraux, IDE, pharmaciens, …), ainsi que les acteurs de l’accompagnement médicosocial du territoire (EHPAD, Services de Soins Infirmiers à Domicile, …). L’objectif est de garantir une continuité et d’éviter les ruptures de parcours, en particulier pour les cas complexes. Les professionnels de tout le territoire peuvent ainsi accéder rapidement via des portails de services à des informations et à des documents relatifs à la prise en charge et au suivi de leur patient, à des outils de télémédecine et de communication sécurisés (espace de confiance MSSanté), ainsi qu’à des plateformes de coordination territoriales. Des offres spécifiques sont également développées aujourd’hui pour intégrer les nouveaux acteurs comme les DAC ou les CPTS (annuaires de compétences, soins non programmés, …).

En région Auvergne-Rhône-Alpes, l’outil MonSisra, qui s’appuie sur le service régional de dématérialisation des échanges ZEPRA (pour « Zero Echanges Papiers en Rhône-Alpes »), est largement déployé. Ce dispositif permet aux acteurs de santé de la ville et de l’hôpital d’échanger et de partager en toute sécurité des informations et des documents médicaux entre eux. Développée par le GCS Sara, cette solution leur donne en effet accès à une messagerie sécurisée, un outil de tchat et à un portail regroupant les services numériques de santé déployés dans la région. « Aujourd’hui, MonSisra est utilisé par près de 90 % des médecins généralistes, 80 % des spécialistes libéraux, 80 % des pharmacies d’officine et plus de la moitié des infirmiers », indique Thierry Durand.

Ces portails multiservices et solutions de coordination peuvent être développés et mis à disposition par différents acteurs : les éditeurs de logiciels hospitaliers privés, mais également les établissements sanitaires regroupés en différentes structures de coopération ou encore les bouquets de services numériques proposés par les GRADeS des différentes régions. En parallèle, de nouveaux acteurs spécialisés dans le développement de solutions d’e-santé émergent, qui proposent aux établissements des dispositifs qui peuvent être ciblés sur une aire thérapeutique ou une étape du parcours de santé, et s’adaptant au plus près de leurs besoins et de leur organisation. La société Nouvéal, spécialisée dans le développement de solutions digitales en santé connectée, a ainsi conçu en partenariat avec l’AP-HP Covidom, une solution pour suivre des patients Covid-19 à domicile, déployée aujourd’hui en Ile-de-France.

Des enjeux majeurs qui restent à adresser pour accélérer le déploiement et les usages des services numériques de santé

Principaux enjeux des services numériques de coordination ville-hôpitalLe déploiement de ces services numériques s’accélère aujourd’hui auprès des professionnels. Mais si la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a permis de renforcer certains usages, elle a également mis en lumière de nombreux enjeux, qui sont autant de freins à lever pour concrétiser l’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins attendue.

Des services qui doivent être avant tout centrés utilisateurs

La diffusion de ces services et leur intégration dans la pratique est souvent longue et complexe à mettre en œuvre. Pour favoriser leur utilisation, il est avant tout crucial que les outils développés répondent précisément aux attentes des utilisateurs du territoire.

« Nous avons beaucoup travaillé avec les URPS de la région pour bien comprendre le besoin des différents professionnels de santé. Nous avons par ailleurs mis en place au sein du GCS Sara une task force d’une douzaine de personnes sur la région, environ une par département, pour accompagner tous les acteurs qui ont un besoin : pharmaciens, infirmiers, MSP, EHPAD, … C’est en allant au plus près du terrain que l’on fait naitre les usages », explique Thierry Durand sur la démarche adoptée par le GCS Sara en Auvergne-Rhône-Alpes. « Il est essentiel de mettre tous les acteurs autour de la table : ARS, URPS, structures d’appui, ordres professionnels, … mais également la Région et les Conseils départementaux », qui sont aussi des acteurs clés du parcours de santé.

L’intéropérabilité, pierre angulaire du déploiement des services numériques

La question de l’interopérabilité est également un défi majeur. Dans un contexte où les acteurs de l’offre de santé territoriale à intégrer sont toujours plus nombreux, les disparités en matière de systèmes d’information des structures révèlent la complexité à rendre interopérables les solutions des différents acteurs de l’écosystème. D’autant plus que les éditeurs de logiciels sont très nombreux et que les supports varient : applications plus ou moins intégrées dans les logiciels métiers et SIH, portails web dédiés, ou encore chatbots et messageries accessibles via des terminaux mobiles. Il en résulte une offre de services dont l’utilisation peut être complexe au quotidien, nécessitant parfois l’authentification sur différentes plateformes pour accéder aux multiples services, les informations n’étant pas toujours partagées ou synchronisées entre les modules.

Certaines régions ont déjà, dans le cadre notamment du programme TNS puis e-Parcours, déployés des dispositifs pour y remédier sur leur territoire. De même, au niveau national, les pouvoirs publics ont mis en œuvre différentes initiatives pour accélérer l’interopérabilité des outils numériques à plus grande échelle. La feuille de route « Accélérer le virage numérique » présentée en 2019 a ainsi fixé des objectifs et des moyens pour y parvenir. Elle propose en effet un schéma d’architecture cible et une trajectoire à l’ensemble des acteurs (y compris du secteur médico-social), ainsi qu’une doctrine technique qui pose le cadre de référence dans lequel devront s’inscrire les services numériques dans les prochaines années.

Un impact organisationnel à ne pas sous-estimer

Autre enjeu de taille : la nécessité pour les établissements d’adapter leur organisation pour pouvoir proposer et déployer certains services. Ainsi, la mise en place d’un outil de télésurveillance au sein de l’hôpital nécessitera la mise à disposition de ressources dédiées (infirmiers pour traiter les alertes remontées par le logiciel de suivi à distance, définition d’un processus d’escalade pour prendre en charge le patient, …). De même, le déploiement de dispositifs permettant au patient de rester en contact avec son équipe soignante après sa sortie d’hôpital nécessite de prévoir quels interlocuteurs pourront apporter des réponses à ses questions, qui peuvent être d’ordre très varié (administratives, médicales, …).

Au Centre Léon Bérard, une organisation spécifique a été mise en place pour répondre aux questions que les patients posent au travers du portail MyCLB, en fonction du contexte de prise en charge et de la nature de la question : « si le patient est pris en charge en HAD, c’est la HAD qui répond aux messages. Sinon, selon la question – administrative ou à forte composante médicale – elle sera traitée par une équipe de secrétaires médicales, un groupe d’infirmières de coordination ou un médecin ».

Pour évaluer les offres de services qui leur sont proposées et coconstruire les services de demain, les établissements sanitaires développent aujourd’hui de nouvelles compétences en interne, en formant leurs équipes et / ou en créant de nouvelles entités et directions en charge de l’innovation et des partenariats. Le CHU de Bordeaux a ainsi lancé un cercle de l’innovation, pour échanger avec l’écosystème local de startups sur de nouveaux services. De leur côté, les Hospices Civils de Lyon ont signé un accord-cadre avec Pulsalys, la société d’accélération du transfert de technologies de Lyon Saint-Etienne, pour soutenir les projets innovants. Le Digital Medical Hub de l’AP HP vise pour sa part à évaluer les solutions de santé connectée.

Des dispositifs pour intégrer davantage les services numériques dans les parcours

Parallèlement, plusieurs dispositifs permettent de tester des services numériques innovants sur les territoires et d’en évaluer l’impact et les conditions nécessaires à un déploiement réussi. Le dispositif « Article 51 », né de la loi de financement de la Sécurité sociale 2018, prévoit ainsi un cadre d’expérimentation, notamment régional, pour tester de nouvelles approches organisationnelles et de nouveaux modèles de prise en charge favorisant la coordination des parcours entre acteurs de territoires. Autant d’occasions d’acculturer usagers, patients et professionnels à l’usage de ces nouveaux services.

« Le CLB est impliqué dans deux projets du dispositif « Article 51 » (dans le suivi à domicile de patients traités par immunothérapie d’une part, et le suivi à distance de patients sous thérapies orales d’autre part). Dans les deux cas, les services numériques proposés au travers du portail MyCLB et de la plateforme Sara sont au cœur des échanges, avec la mise en place de formulaires sur la remontée des toxicités, et l’utilisation de l’outil MonSisra pour les échanges entre l’hôpital et les professionnels de santé de ville de la région (IDE, pharmacien d’officine, …).

Une nécessité d’accélérer la formation des professionnels et l’accompagnement des usagers à l’utilisation des services numériques

Enfin, la capacité tant des professionnels de santé que des patients à accéder à ces services et à se les approprier reste l’un des principaux facteurs clés de succès. Les formations médicales initiales et continues intègrent de plus en plus des modules consacrés aux usages du numérique dans la santé, et les fédérations et associations hospitalières proposent des dispositifs pour former les professionnels aux bonnes pratiques. De même, les acteurs territoriaux déploient des actions d’accompagnement des populations en situation de fracture numérique. Parmi les initiatives : « Votre S@nté », initié en septembre 2021 par le CentSept, un accélérateur d’innovation sociale créé en 2017 sur le territoire de la métropole lyonnaise. Porté notamment par le GCS Sara, en collaboration avec plusieurs acteurs du territoire et l’association Emmaus Connect, le projet « votre S@nté » prévoit des permanences gratuites et sans rendez-vous pour accompagner les usagers, par exemple pour la création d’un compte Ameli, l’accès à des résultats médicaux sous format numérique ou l’aide à la réalisation d’une téléconsultation. Il reste cependant encore, sur de nombreux territoires, à déployer davantage les infrastructures nécessaires pour garantir un accès suffisant et fiable aux outils numériques. La connexion à internet, a fortiori l’accès à internet haut débit, est encore loin d’être une réalité pour de nombreux usagers et professionnels.

Une politique volontariste pour accélérer l’équipement mais aussi – et surtout – les usages et favoriser l’innovation organisationnelle

Segur-Numerique-impulsion-usages-services-numeriques-santeLe développement de services numériques intégrant les différents acteurs du parcours de santé atteint aujourd’hui, sur certains territoires, une certaine maturité, même si de nombreux enjeux subsistent et que leur usage doit encore progresser. Les initiatives et dispositifs déployés, tant au niveau régional que national, devrait permettre d’accompagner cette transition vers une plus grande intégration des outils dans les parcours.

Pour donner une impulsion supplémentaire et pérenniser les efforts engagés, le Ségur du numérique en santé débloque ainsi un budget de deux milliards d’euros pour soutenir la transition numérique, avec un couloir consacré spécifiquement aux établissements de santé et un autre aux établissements médico-sociaux, et l’ambition de généraliser le partage fluide et sécurisé de données de santé entre professionnels de santé et avec l’usager. L’objectif à court terme est double :

  • Aider les établissements de santé et du secteur médicosocial à s’équiper de solutions référencées, conformes aux exigences Ségur et à la doctrine publiée par l’ANS (et donc interopérables) avec le programme SONS (en priorité le référentiel identité, le dossier patient informatisé, la plateforme d’intermédiation) ;
  • S’assurer d’autre part que les bénéficiaires s’engagent à atteindre des cibles d’usage (obligation de partage de données) afin que les services soient véritablement utilisés et alimentés, avec le programme SUN-ES (en priorité l’alimentation du DMP et la messagerie sécurisée de santé)

Les prochaines années devraient donc voir s’accélérer le développement de services numériques interopérables, partagés entre les acteurs du territoire, et un usage croissant de ces dispositifs par les différents destinataires. Côté patient, l’arrivée de Mon Espace Santé en janvier 2022 donnera accès à tous les usagers à un espace numérique sécurisé regroupant un ensemble de services (agenda santé, dossier médical pour stocker et partager des documents, messagerie et catalogue de services numériques référencés par l’Etat) ; côté établissements et professionnels de santé, l’enjeu majeur à venir sera de mettre à disposition le bouquet de services numériques de la manière la plus transparente et ergonomique possible, en l’intégrant autant que possible dans leur pratique et leurs outils quotidiens, sans qu’ils aient à se connecter à une multitude de plateformes différentes. Avec la capacité qu’offre le numérique de capitaliser sur des données de vie réelle permettant, au fil du temps, d’enrichir les services existants et d’en créer de nouveaux (par exemple des algorithmes d’identification précoce de rechutes), pour concrétiser une médecine non seulement de parcours mais également prédictive, préventive, personnalisée et participative.

Karetis Papers Sante Territoires

Cet article fait partie de la série :

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Open Data territorial, un atout précieux au service des CPTS.