Créées par la loi du 26 janvier 2016, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont un dispositif mis en œuvre par les pouvoirs publics afin de permettre aux professionnels de santé d’un territoire de mieux se coordonner à l’échelle locale pour répondre aux besoins de santé spécifiques de la population. Elles regroupent ainsi tant les professionnels du premier que du second recours, et s’adressent à la fois aux acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux. L’objectif est de décloisonner et fluidifier le parcours de santé des patients, en favorisant la pluriprofessionnalité, l’organisation des soins non programmés et le renforcement du lien ville-hôpital.

Le plan Ma Santé 2022 prévoit ainsi le déploiement de 1000 CPTS sur le territoire national à l’horizon 2022. En mai 2021, la Fédération des CPTS comptait 117 projets finalisés par un « contrat ACI » tripartite (CPTS / ARS / Assurance maladie) sur 641 projets à différents stades d’avancement.

Pour mieux comprendre les différentes étapes et les enjeux associés au développement d’une CPTS, nous avons rencontré le Dr. Xavier Abballe, médecin de santé publique.

«Le principe fondateur des CPTS est de confier à des acteurs de terrain, dans une logique ascendante, un projet territorial qui a pour objectif d’améliorer la santé de la population ».

De la gestion de la patientèle à la responsabilité populationnelle

Les CPTS doivent répondre à deux types de missions définies dans l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) du 20 juin 2019 :

  • D’une part, des missions socles obligatoires : améliorer l’accès aux soins, organiser les parcours pluriprofessionnels autour du patient et développer les actions territoriales de prévention.
  • D’autre part, des missions complémentaires optionnelles : développer la qualité et la pertinence des soins et accompagner les professionnels de santé sur le territoire.

« A partir de ces règles du jeu, il s’agit, dans un espace libre, de construire une CPTS et de bâtir un projet qui doit faire communauté à partir d’une inclusion maximale des différents professionnels de santé constituant le territoire », rappelle le Dr. Abballe.

CPTS et Open Data

Le périmètre territorial des CPTS n’est en effet pas prédéfini ou fixé administrativement. Pour chaque CPTS, le territoire d’action devra être précisé dans le projet de santé élaboré lors de la création de la structure, au regard de l’envie des acteurs de travailler ensemble et en cohérence avec les parcours effectifs des patients. Une contrainte cependant : il ne peut y avoir qu’une seule CPTS sur un territoire donné. Les CPTS sont en effet fondées sur une approche dite de responsabilité populationnelle : il ne s’agit plus d’organiser la prise en charge de la population dans une logique de patientèle, mais dans une logique de bassin de vie ou de « territoire vécu », sur la base d’un fonctionnement pluriprofessionnel. La valeur ajoutée de ces nouvelles communautés territoriales réside ainsi en grande partie dans leur capacité à synthétiser une vision partagée des spécificités du territoire et des besoins de la population, pour établir un diagnostic et définir un plan d’action coordonné entre tous les acteurs pour répondre à ces besoins de santé. Il s’agit donc de mieux organiser l’offre entre opérateurs plus que de modifier l’offre par opérateur, même si celle-ci évoluera mécaniquement. Les opérateurs sont variés : professionnels en exercice monoprofessionnel, cabinets isolés, équipes de soins primaires (ESP) et spécialisés (ESS), maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et centres de santé (CDS), établissements sanitaires et médico-sociaux, dispositifs de coordination ou encore acteurs de la prévention.

A plus grande échelle, au sein d’un département ou d’une région, la coordination du maillage de CPTS et l’approche de responsabilité populationnelle sera assurée par des collaborations inter-CPTS, explique le Dr Abballe,  « notamment le dénombrement des patients par classe de responsabilité populationnelle  (listes de patients prioritaires) sur les différentes CPTS d’un département afin d’appliquer le même protocole pour chaque classe . » 

La construction du projet de CPTS : entre données territoriales et vécu des acteurs locaux

Afin d’élaborer un projet CPTS sur un territoire donné, il est nécessaire d’identifier les besoins de santé non ou insuffisamment couverts au sein de la population. Les porteurs de projets doivent donc au préalable dresser un état des lieux de la situation sanitaire de ce territoire, en mobilisant tout autant l’intelligence statistique que l’intelligence collective.

De nombreuses données en libre accès (Open Data) peuvent ainsi permettre d’avoir un premier aperçu des enjeux du territoire. À cet effet, l’Assurance Maladie a mis en place l’outil « Rézone CPTS », qui permet d’établir des pré-diagnostics territoriaux dynamiques incluant des données relatives à l’offre de soins, aux caractéristiques socio-économiques et démographiques de la population, ainsi que des indicateurs de références aux missions des CPTS. Santé Publique France met également en libre accès via la plateforme « Géodes » un ensemble de données épidémiologiques finement localisées pouvant être utiles à la compréhension d’enjeux de santé locaux.

Carte bassins de vie France

D’autres instances publiques fournissent des données venant enrichir cette radiographie locale des territoires. La DREES et l’IRDES ont ainsi défini des métriques d’accès aux soins de premier recours, par exemple un Accessibilité Potentielle Localisée (APL) permettant de mesurer l’accessibilité à différentes professions de santé dans un territoire. L’INSEE met également à disposition des ressources variées, notamment pour appréhender la qualité de vie dans les territoires[1]. A l’échelle régionale, les observatoires régionaux de santé (ORS) publient des analyses et des études thématiques sur l’état de santé des populations.

Cependant, avec un tel afflux de données, « il y a un très gros risque de mal interpréter les choses », met en garde le Dr Abballe. C’est notamment pour cela que les CPTS ont recours à des experts externes ou des médecins de santé publique : « C’est aux professionnels spécialisés dans l’épidémiologie descriptive et la biostatistique comme les médecins de santé publique ou les sociétés spécialisées de métaboliser et d’interpréter les données. ».

Mais si les données statistiques sont nécessaires pour réaliser un diagnostic territorial approfondi, elles sont loin d’être suffisantes. Il est également fondamental de capitaliser sur l’expérience des acteurs locaux, en organisant des rencontres et des échanges pour mieux comprendre les enjeux auxquels répondre. Comme le rappelle le Dr. Abballe, « le sens final de la CPTS, c’est d’être au plus près du réel, à l’écoute du vécu des professionnels de santé et des patients comme des citoyens, donc de tous les acteurs ».

C’est ce savant mélange entre statistiques pertinentes à l’échelle locale, connaissance d’acteurs de terrain (médecins, associations de patients, usagers, élus…) et soutien par des accompagnateurs spécialisés qui permettra de créer une CPTS qui réponde véritablement aux enjeux du territoire.

L’évaluation de l’impact des CPTS : un enjeu fondamental… mais complexe

Une fois la CPTS créée, il convient de s’assurer que les actions définies dans le projet permettent effectivement d’améliorer la prise en charge de la population sur le territoire et d’atteindre les objectifs fixés. Quels indicateurs d’évaluation définir et comment mettre en place un suivi pour réorienter les actions si nécessaire ? Comment évaluer l’impact réel des différentes mesures ? Ces questions sont d’autant plus cruciales qu’une partie du financement des CPTS dépend de l’atteinte des objectifs et des actions mises en œuvre. Des indicateurs de suivi sont définis dans le contrat tripartite ACI entre la CPTS, l’ARS et l’organisme local de l’Assurance Maladie et suivis ensuite régulièrement, en fonction des missions qui ont été fixées dans son projet de santé.

Comme le rappelle le Dr. Abballe, de nombreux exemples d’indicateurs sont listés dans l’ACI pour les principales missions assignées aux CPTS, afin d’orienter les porteurs de projets. « La réduction du pourcentage de patients sans médecin traitant est un indicateur d’amélioration de l’accès aux soins par exemple. Le nombre de professionnels de santé qui adhèrent au projet commun sur le territoire, ainsi que le pourcentage qui applique les protocoles communs sont d’autres critères d’évaluation du succès du projet. A terme, la part des patients appartenant à une classe de responsabilité populationnelle donnée, pour un parcours de soin donné, et ayant bénéficié du protocole clinique indiqué et partagé sur le territoire, pourrait constituer un marqueur direct d’amélioration de l’état de santé sur ce parcours. ».

ACI Indicateurs CPTS

D’autres critères sont prévus dans l’ACI, relatifs notamment à l’évolution du taux de passage aux urgences, afin d’évaluer la mission des CPTS consistant à améliorer la prise en charge des soins non programmés en ville. Dans la pratique cependant, ce type de suivi nécessite de pouvoir mettre en commun des données hospitalières et libérales de professionnels de santé d’un territoire. Or, les données hospitalières sont souvent bien formatées et codées, tandis que les données de l’ambulatoire le sont beaucoup moins : « Le système d’information libéral est focalisé sur la facturation et le remboursement. On a du mal à décrire les morbidités, même si les exercices coordonnés les plus avancés intègrent le codage des symptômes et maladies dans la prise en charge des patients. » estime le Dr Abballe. « Il est nécessaire d’évoluer vers un identifiant unique, sur une base de données territoriale commune qui regrouperait à la fois le libéral et l’hospitalier. Cet entrepôt ou lac de données de santé territorial permettrait alors d’agir au plus près des patients et de faire un suivi réel des indicateurs ». Des solutions existent aujourd’hui déjà de manière plus ou moins aboutie sur certains territoires. C’est également tout l’enjeu du déploiement de référentiels socles comme l’Identité nationale de santé (INS) et de projets comme le dossier médical partagé (DMP) et des outils de coordination dans le cadre de la feuille de route du numérique en santé de Ma Santé 2022.

Une vision plus territoriale du parcours de vie pour mieux répondre aux besoins de santé

Les CPTS sont encore des structures jeunes dans le paysage sanitaire français. Leur développement et leur impact iront de pair avec le déploiement d’autres innovations visant à favoriser une prise en charge pluriprofessionnelle et coordonnée, notamment les expérimentations de financement au forfait ou encore le déploiement d’outils de coordination des parcours de soins sur un territoire.

Les CPTS ont avant tout pour vocation de se positionner au plus près des besoins de la population et des professionnels de santé du territoire.  Pour parvenir à une vision et un plan d’action partagé, la phase de diagnostic est primordiale. Il s’agit de prendre en compte le mieux possible non seulement les éléments relatifs au parcours de soins, mais également les aspects relevant du parcours de santé et de la qualité de vie sur un territoire.

Open Data pour diagnostic territorial CPTS

A cet égard, la mise à disposition croissante de données d’Open Data est un atout qu’il ne faut pas négliger, d’autant plus que les données pertinentes à intégrer vont au-delà des données épidémiologiques « traditionnelles ». Données de mobilité, d’offres de services à domicile ou encore d’infrastructures sportives : autant d’éléments à croiser avec des indicateurs d’offre de soins dans une approche « bassin de vie » et de responsabilité populationnelle.

En faisant le lien entre la ville et l’hôpital, entre les généralistes et les spécialistes tout en incluant un écosystème bien plus large, les CPTS se portent garantes d’une santé au plus proche des territoires et d’une meilleure prise en charge des patients. Pour arriver à cet objectif, c’est bien l’interfaçage entre données d’un côté et vécu territorial de l’autre qui permettra de cheminer vers les résultats de santé attendus. C’est d’ailleurs la conclusion du Dr. Abballe : « l’un des facteurs clé de succès, c’est la manière dont on va faire interagir l’objectivation de certains phénomènes par la voie mathématique ou statistique et le vécu sociologique en vie réelle, pas toujours modélisable. »

 

 

Karetis Papers Sante Territoires

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[1] Une approche de la qualité de vie dans les territoires, INSEE Première, n°1519, Octobre 2014.